LA REVOLTE DU TAUREAU DE COMBAT
Réponse du Taureau de Combat
A ceux qui le plaignent de mourir dans l'arène
Pourquoi me plaignez-vous ? Quel transport vous anime
Et pourquoi de douceur vouloir fleurir mes pas ?
Merci d’avoir pour moi cet élan magnanime,
Mais gardez vos bontés, Messieurs, je n’en veux pas !
Pour les agneaux bêlants, pour les brebis peureuses,
Et tous les animaux par vous domestiqués,
Réservez vos faveurs, vos pitiés généreuses,
Moi, je suis un taureau, Messieurs, vous vous moquez.
Mon frère malheureux, castré, veule et stupide,
Le boeuf, trainant sa peine à longueur de sillon,
Et ruminant sa bonté et son rève torpide,
Plaignez le de subir le joug et l'aiguillon.
Moi, je suis l'étalon farouche et prolifique,
Sûr de sa race forte et de sa liberté,
Balayant de mes crins mon torse magnifique,
Je promène au soleil mon ardente fierté!
Je suis le roi puissant de la lande sauvage,
Mon sourd mugissement fait courber les roseaux,
Et sur le sol rugueux que mon sabot ravage,
L'herbe rare s'enflamme au feu de mes naseaux.
Ce qu'il me faut à moi, c'est l'ampleur de l'arène,
Voir dans ma furia rouler les picadors,
Et tournoyer au vent la grâce souveraine
Des banderilleros et des toréadors.
C'est la foule enivrée, exitant mon courage,
Hurlant "Bravo toro" quand je fonce éperdu
Et, quand sous la capa que je foule avec rage
J'écrase un matador par ma corne étendu.
Dans le scintillement rutilant des épées
Et dans le flamboiement pourpre des muletas,
Je veux mourir l'oeil plein de visions d'épopées
Aux cris des hidalgos et des señoritas.
Et j'irais, grâce à vous, sans panache et sans lutte,
Garrotté lâchement, la bricole en sautoir
Tomber sous le marteau dégradant d'une brute,
Dans le silence morne et froid d'un abattoir?
Allons Messieurs, épargnez moi ce ridicule,
N'insultez pas ainsi mon orgueil sans remords,
Quand le lion lui même à mon assaut recule,
Au prix de votre sang veuillez payer ma mort!
Et ne me blamez pas d'adorer la bataille,
De préférer périr par un coup d'espada
Affrontant seul à seul un héros à ma taille,
Honneur au toréro! Gloire à la Corrida!
C'est un poème d'André MONTAGARD, extrait d'un receuil intitulé:
LA FIESTA DU SANG.
Ce receuil a été écrit à l'intention de Paul RICARD, édité aux éditions BENDOR et fini d'imprimer sur les presses des DISTILLERIES RICARD Sainte-Marthe, Marseille le
01 décembre 1956.